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« Le peintre de l'engagement. »

Jean Giono

Écrivain

André Michel est un peintre figuratif. Pourtant la porte à l'abstraction est grande ouverte aux jeunes de nos jours. Mais quand ils ont usé de tous les subterfuges, ils se retrouvent devant la couleur. L'informel ne résoud pas le problème, il reste toujours posé. Ils peuvent essayer de s'en sortir par des ruses, des raisonnements, des logiques, des techniques, ils reviennent toujours se casser le nez sur cette couleur bien matérielle. Il faut convenir que si on n'a rien à dire cette matière est lourde à soulever.

Avec André Michel ce n'est pas le cas, sa peinture est sobre, sans artifice. Souvent il nous oblige à regarder des objets communs à notre regard. Il arrive même à nous les faire accepter comme sujet pictural. Pourtant en supprimant la figure des choses, c'est -à-dire, en supprimant le choix, plus exactement en se donnant le droit de décider de la rigueur du choix, il pourrait encore faire illusion. Malgré toute l'intelligence du discours, la désinvolture et la fatuité de l'art de parvenir, comme les autres peintres, il finirait par se retrouver devant la couleur et l'obligation de s'en servir.

De là des terreurs sans nom qui se manifestent chez certains, devant la perte de contact avec le réel. On comprend alors par quel procédé ils en sortent, celui de l'esquive et de la fuite, devant une chose simple. André Michel ne recule pas devant cette simplicité, il la travaille, la cherche, l'observe et nous la donne.

« Rien n'est plus bête que la couleur » disait Van Gogh, il voulait dire qu'elle échappe à toute métaphysique. Notre monde moderne se refuse à l'évidence. Dans ces combats, le coeur vaut mieux que la tête et ce qui résiste à l'analyse cède à l'amour. Chez certains peintres, surtout modernes, il n'y a que de l'intelligence souvent éblouissante, j'en conviens, mais l'intelligence n'est qu'un abrasif. Quand elle est y employée à l'état pur pour justifier, elle a vite fait d'user les formes jusqu'au néant. Le spectacle alors n'est plus de ce monde, il est de la représentation de problèmes dont je comprends bien qu'ils sont en réalité au cœur de la création depuis l'origine des temps. Le problème posé depuis des millénaires s'est entouré aujourd'hui de toutes sortes d'abstractions. Compliquer la simplicité est un mouvement rétrograde et non d'aventure. On est en train d'abandonner le témoignage d'un regard simple. Au lieu de voir, on conjugue le verbe au passé, au lieu de regarder, on ferme les yeux pour mieux réfléchir.

Si André Michel vous surprend, c'est simplement parce que vous n'avez pas fait avec lui la marche en arrière qui l'amène à l'expression devant laquelle il vient de vous mettre. Il ne surprend que par les ténèbres antérieures aux ténèbres d'où son œuvre est tirée.

Jean Giono, écrivain

Préface de l'exposition à la galerie Ror Volmar, Paris, 1966